Cette année, (on a quand même bien de temps en temps
le droit d’être un peu égoïstes, on ne voit pas où est le mal à
se faire du bien), on s’est dit qu’on allait prendre du temps
pour soi.
On va se cocooner, se dorloter, se chouchouter, se
bichonner. Ce qu’on va faire, c’est qu’on va fixer une bonne
fois pour toutes un instant-détente, une pause-douceur dans nos
emplois du temps surchargés, rien que pour nous. On peut tout à
fait se dire qu’on va s’accorder, pourquoi pas le dimanche
après-midi, (on a bien le droit nous aussi à notre petite
pause-douceur, à notre instant-détente), une petite pause-douceur,
un instant-détente pendant lesquels on pourra se ressourcer, se
reconnecter avec nous-mêmes et notre bien-être. Des petits instants
bien-être, câlins, détente, tout en douceur, tout en détente,
très égoïstes, qui vont nous faire drôlement du bien à nous et
qu’on va ritualiser, par exemple tous les dimanche après-midi, et
qui seront rien qu’à nous.
On va commencer par se procurer une bouteille d’huile
essentielle à la fleur d’ylang-ylang et des bougies parfumées thé
vert mangue ananas et une fois qu’on aura établi une ambiance
propice à la relaxation, à la décontraction, au lâcher-prise, à
la détente, au délassement, au repos, au relâchement, une fois que
notre huile essentielle et nos bougies parfumées auront commencé à
envoyer des messages réconfortants, apaisants, rassérénants, au
système limbique de nos cerveaux alors on pourra vraiment commencer
à se faire plaisir, à se faire vraiment du bien, on pourra alors
faire en sorte grâce à notre pause-douceur, notre instant bien-être
et détente, de faire diminuer ces grosses boules qui sont là
quelque part à l’intérieur de nous, défaire ces gros nœuds qui
nous nouent et nous perturbent.
On va se masser. Parce que ça, c’est vraiment quelque
chose qui nous fait du bien à nous, beaucoup de bien même, au point
où à chaque fois qu’on se masse on se dit qu’on devrait le
faire plus souvent.
On a trouvé d’ailleurs des choses très intéressantes
sur internet pour nous aider à nous masser et on a décidé, (on
peut bien s’accorder un petit plaisir de temps en temps, on ne voit
pas où est le mal à se faire du bien), de s’acheter l’accessoire
non seulement idéal à la relaxation, à la détente, au
lâcher-prise, à la décontraction, mais aussi, et ça on ne le
savait pas, l’outil incontournable pour stimuler la circulation
sanguine, l’élimination des toxines et l’éveil
psycho-corporel : un masseur de tête.
Parce que nos têtes à nous, elles sont au moins aussi
sensibles que celles des chats ou des chiens, constituées qu’elles
sont nos têtes à nous de milliers et de milliers de terminaisons
nerveuses qui, pour peu qu’on les stimule en tous cas, secrètent
une hormone de plaisir qui s’appelle l’endorphine. Il s’agit
d’une drogue. En tout point semblable à la morphine. Qui est une
drogue très dure. C’est pour cette raison qu’il faut être
extrêmement vigilant en ce qui concerne l’utilisation d’un
masseur de tête. Vigilant et responsable. Pour ne pas tomber dans la
dépendance, dans ce qu’on appelle, à juste titre, l’enfer de la
drogue.
Nous on en a vu des drogués à la télévision qui
étaient tombés dans l’enfer de la drogue et ce qui est sûr c’est
qu’on n’a pas envie de leur ressembler. On n’a pas du tout
envie, non, qu’on nous retrouve recroquevillés, inconscients,
complètement shootés sur le banc d’un jardin public ou sous une
aubette de bus, les bras, les jambes décharnés, les yeux révulsés,
les lèvres retroussées sur des gencives édentées et calcifiées,
le masseur de tête, ses douze petites boules de cuivre au bout de
leurs longues tiges d’acier, encore enserrées comme un garrot
autour de nos crânes pelés, tout ça parce qu’on n’aura pas été
capables d’utiliser notre masseur de tête avec modération, de
façon responsable.
Nous ce qu’on aime de toutes façons, c’est se
masser tout doucement. En prenant tout notre temps. De façon
responsable. Parce que c’est dimanche après-midi et qu’il n’y
a rien qui presse et qu’on n’a rien d’autre à faire.
On va s’allonger bien confortablement sur notre
canapé, tamiser un peu les lumières, tirer les rideaux, allumer nos
bougies parfumées thé vert mangue ananas, brancher le diffuseur
d’huile essentielle ylang-ylang, se déshabiller et on va
délicatement se saisir du manche de notre masseur de tête et
commencer par faire coulisser les douze boules de cuivre de notre
masseur de tête sur nos crânes, nos nuques et jusque sur nos
occiputs. Tout de suite on sent que toutes nos terminaisons sont
stimulées. Ça fait comme des petites vagues de plaisir dans le cou
et au creux des reins, des petites décharges électriques qui
courent sur notre échine et diffusent un voluptueux bien-être dans
tous nos membres et nos extrémités. On accélère imperceptiblement
le mouvement, le doux va-et-vient, et notre instant bien-être, notre
instant câlin, notre pause-douceur, commence à devenir vraiment
délicieux, et on se dit qu’on a bien fait d’acheter ce masseur
de tête qui marche aussi très bien avec les genoux et c’est
vraiment incroyable cette sensation, on ne pensait pas qu’il y
avait autant de terminaisons nerveuses dans ce coin là, c’est
vraiment incroyable cette sensation de toutes ces petites boules de
cuivre qui s’enfoncent dans la chair des cuisses, le haut des
cuisses, et nous on ne voit pas pourquoi on ne pourrait pas prendre
tout notre temps, c’est dimanche après-midi, on ne voit pas
pourquoi on n’inviterait pas notre collègue Violaine à venir
partager ces instants bien-être, cette pause-douceur, il faudra
qu’on l’invite Violaine, c’est surement le genre de filles à
aimer ça, des moments bien-être, des pauses-détente, comme
ceux-là, on aurait dû lui en toucher deux mots la dernière fois
qu’on l’a croisée Violaine dans la salle des photocopieurs, elle
était accroupie en train de ramasser une liasse de papiers tombés
par terre et ça dépassait de son pantalon, sa petite culotte rose à
Violaine qui dépassait, un tout petit triangle rose de tissu
transparent bordé de dentelle noire qui débordait de son pantalon,
peut-être qu’on aurait dû essayer d’y glisser un doigt dans sa
culotte à Violaine au lieu de rester planté là comme un imbécile
et puis on pourrait demander à Tiffany de passer à la maison aussi
un dimanche après-midi, elle était assise juste en face de nous
Tiffany vendredi midi au self de l’entreprise et on ne sait pas si
elle commençait à avoir un peu chaud mais la fermeture à glissière
de sa robe était baissée presque juste au milieu des seins et ça
laissait passer des morceaux de son soutien-gorge en dentelle rouge
et vert pomme et on aurait tout à fait pu y glisser la main et même
les deux ou davantage et au lieu de ça on est resté là sans rien
faire comme des pauvres imbéciles à manger nos radis, mais quand on
va avoir terminé de se masser on va aller sur internet pour en
commander deux autres des masseurs de tête comme ça elles auront
chacune le leur et elles pourront s’allonger tête bêche sur notre
canapé et se masser mutuellement, on n’avait pas pensé à ça
mais elles ont sacrément de l’imagination Violaine et Tiffany,
notre masseur de tête il peut aussi se transformer en petit martinet
et si on en croit leurs gémissements elles ont l’air de bien aimer
ça Violaine et Tiffany notre masseur de tête et on va lui retirer
sa culotte rose à Violaine, elle attendait que ça qu’on lui
retire sa culotte sinon elle la montrerait pas comme ça à tout le
monde aussi souvent alors on va la lui remettre sa culotte à
Violaine et on va encore la retirer mais cette fois ci tout doucement
en prenant bien notre temps parce que c’est dimanche après-midi,
et qu’on n’a que ça à faire que de lui retirer sa culotte et
Tiffany elle, elle se débrouille très bien toute seule avec les
douze petites boules d’acier au bout de leurs longues tiges de
cuivre alors on va retourner Violaine de l’autre côté et on va
faire glisser sa petite culotte rose bordée de dentelle noire, et de
ce côté-là, c’est exactement comme on avait vu c’est juste un
minuscule triangle de tissu rose transparent avec de la dentelle
noire qui se termine par une ficelle et tout ça c’est très tendu
mais on arrive quand même à enfiler le manche de notre masseur de
tête par en dessous et elle Violaine ça la fait gémir de plus en
plus fort et maintenant elle nous donne des ordres alors on va lui
obéir et on va lui donner ce qu’elle demande pendant que Tiffany
elle elle nous regarde comme si on était à la télé et voilà ça
y est, c’était pas faute d’avoir été prévenu pourtant, on a
secrété trop d’endorphine, il y a des hormones de plaisir partout
maintenant et c’est surement pour ça qu’on nage en plein délire,
qu’on raconte n’importe quoi, qu’on est même la proie
d’hallucinations, mais heureusement ça s’est bien terminé et on
est bien contents et soulagés d’avoir été vigilants et
responsables et d’avoir su jouir en toute sérénité de notre
petit instant bien-être, de notre petite pause-douceur qui est venu
parachever en apothéose notre dimanche après-midi rien qu’à
nous.
Pierre-Antoine Brossaud est l’auteur de L’Encre et le Papier, in La Vie des Livres.
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