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Résolutions (5), par Pierre-Antoine Brossaud

Cette année, on ne va pas faire comme les années précédentes, on ne va pas, et ça c’est vraiment une bonne nouvelle, faire des promesses en l’air qu’on ne tiendra pas, se raconter une fois encore des histoires comme on sait si bien le faire, on ne va pas se trouver les sempiternelles excuses, les sempiternels prétextes pour se défiler, on va, et tant pis pour les sceptiques, tant pis pour ceux qui pensent qu’on est tout juste bons à baratiner, se mettre au sport.
Parce que le sport ce n’est pas que du sport c’est aussi un passeport le sport, un passeport pour la santé qui donne le droit d’aller dans un pays où les gens sont en pleine santé, un pays où les gens à chaque instant la respirent et en jouissent.
Mais pour l’obtenir ce passeport, on n’a pas le choix, c’est comme ça, on n’a rien sans rien, c’est la vie, il faut se faire une raison, ça se saurait si c’était facile, il va falloir transpirer.
Suer. Suer sang et eau. Parce qu’il n’y a que comme ça, en suant sang et eau qu’on pourra expulser ce vilain limon qui s’accumule, ces alluvions qui jour après jour se déposent et se figent, tout cet odieux invisible qui cherche à s’infiltrer dans nos artères pour les rendre cassantes comme du verre, cette matière brunâtre, immonde, vivante, qui tente de pénétrer dans les alvéoles de nos ventricules et de nos poumons et coagule en jaune épais derrière nos yeux, entre nos oreilles, qui partout s’agglutine en concrétions compactes dans le seul et unique but d’aller coloniser nos sinus, nos muqueuses, nos tissus, nos membranes, nos lymphes, notre moelle, là où c’est si tendre.
Nous le sport qu’on veut faire, on connait son nom, ça fait longtemps déjà qu’on y réfléchit, longtemps qu’on se dit que c’est le sport qui nous plairait vraiment beaucoup et surtout pour lequel on est fait : le triathlon.
Alors oui, sans doute, c’est vrai, il n’y a que trois sports dans le triathlon, mais c’est justement pour cette raison qu’on pense que ce sera très bien pour commencer et déjà surement mieux que le biathlon avec ses deux sports qui sont plutôt réservés à des gens qui ne veulent pas vraiment faire du sport ou qui sont handicapés au niveau du moteur et puis qu’est-ce qui nous empêche, lorsqu’on se sera bien entrainés au triathlon de passer au pentathlon, à l’heptathlon, peut-être même au décathlon.
Alors voilà ce que l’on va faire. On va prendre un abonnement à la piscine olympique (on a déjà le maillot de bain) où l’on se rendra cinq, peut-être même six fois par semaine, (on peut tout à fait trouver un moment pour y aller entre midi et deux), et l’on va apprendre à nager parce que ce qu’on voudrait nous c’est savoir nager, vraiment nager, pas simplement agiter les jambes et les bras dans tous les sens comme quelqu’un qui est en train de se noyer, mais savoir vraiment nager et aussi ce qu’on voudrait apprendre à faire nous, c’est apprendre à rendre notre tête étanche parce qu’à chaque fois qu’on la met sous l’eau notre tête à nous l’eau de la piscine olympique rentre par tous les trous alors que nous ce qu’on voudrait c’est réussir à l’ immerger sous les eaux bleu électrique notre tête et arracher à la peau de mosaïque liquide nos torses gonflés de pectoraux et de biceps et nos épaules carrées, puissantes, ruisselantes de muscles, des épaules de nageurs et même de déménageurs, et ce qu’on voudrait bien aussi c’est qu’on nous apprenne à faire comme les bébés-nageurs et qu’on nous dise comment on fait pour arrêter de respirer quand on va sous l’eau parce que c’est pour ça qu’on n’y arrive pas, nous on continue à faire comme si on était des grandes personnes, comme si tout était normal, comme si on était encore en vie et qu’on avait besoin d’air et forcément ça rentre à l’intérieur alors que ce qu’il faut au contraire, c’est apprendre à faire comme si on était morts ou plutôt pas encore complètement nés, faire comme les bébé-nageurs qui reviennent à la surface et à la vie en ouvrant grand leur bouche et qui poussent dans un jaillissement d’écume et de chlore les bébés-nageurs un hurlement de victoire et de rage.
Si on veut faire du triathlon c’est aussi pour la bonne et simple raison qu’on n’en peut plus de ce reflet gras et informe que chaque matin le miroir nous renvoie, parce qu’on n’en veut plus de cette culpabilité qui nous ronge d’avoir laissé ainsi nos corps partir à la dérive, des corps de vieux noyés flasques et imbibés d’eau et remplis de vide, des édifices délabrés, abandonnés, aux visages effondrés, des paires d’yeux bordés de rouge déjà presqu’entièrement recouverts par des plis de chair de cendre grise.
Alors voilà ce qu’on va faire, on va se rendre dans un magasin spécialisé, il y en a justement un tout près de là où on habite, et on s’achètera, (si ça se trouve on a déjà ça dans nos armoires), un short tissu Fine Mesh, Climat Control, un haut de survêtement en Lycra New Tech Ultra Respirant, une paire de Running Shoes, semelles Explosion en caoutchouc de mousse de carbone bi-densité, intérieur Stretch renforcé Kevlar, talons technologie Full Gel Shock Absorbing. Ce n’est pas si compliqué.
Ensuite, deux ou trois fois par semaine au début, (il faut savoir se montrer patient, y aller progressivement, ne pas brûler les étapes, y aller pas à pas, petit à petit, de façon progressive), puis tous les jours et puis même très rapidement deux fois par jour, on va faire de la course à pied.
C’est un sport tout à fait indiqué pour des gens comme nous qui sont déjà très à l’aise avec la marche. On se dit même qu’on a certainement des aptitudes à la course à pied tout simplement parce qu’on a appris à marcher très tôt, beaucoup plus tôt que la plupart des gens, et on a bien souvent entendu parler de nos premiers pas qui ont considérablement marqué les esprits de ceux qui y ont assisté. Un évènement qui a été filmé en son temps et que chacun continue de regarder avec plaisir et émerveillement.
Alors, au petit jour, à l’aube, à l’heure où blanchiront les trottoirs et les ronds-points de nos villes, on partira courir le long du grand fleuve solitaire ou des ruelles pavées du centre-ville.
Il faudra nous voir rejeter nos épaules en arrière, nos regards clairs, fiers, lancés par-delà l’horizon, il faudra admirer nos foulées amples et légères, nos pieds à peine touchant terre, les bras bien à l’équerre, notre taille si fine et notre déhanchement de panthère ! Il faudra nous voir prendre l’air à pleins poumons, le sang giclant dans nos artères, notre cœur bondissant et élastique, nos lobes, nos cellules, nos molécules saturées d’azote et d’oxygène ! Il faudra nous voir courir par tous les temps de chien, insensibles au froid, au vent, à la neige, à la pluie, au brûlant, et encore on accélère ! Il faudra nous voir dépasser nos concurrents, la foulée qu’on allonge, notre silhouette de tendons et de nerfs, les dents qui se serrent, mais toujours on accélère ! Il faudra nous voir couverts d’eau et de sang, nos yeux en dedans, nos bras en croix embrassant le ciel, déchirer dans un ultime coup de rein le ruban de soie carmin fragile comme un hymen !
On va s’acheter un vélo. Mais attention, pas n’importe quel vélo ! Pas un vélo pour faire du vélo dans les sous-bois là où il fait froid, là où c’est plein de boue et là où ça glisse, pas un de ces vélos pour touristes avec ces selles et ces guidons et ces sacoches ridicules, pas un de ces vélos avec deux petites roues à l’arrière pour les gens qui ne savent même pas faire du vélo, non, nous on va s’acheter un vélo spécialement conçu pour la pratique du triathlon : un vélo mi-course. Electrique.
Parce que ce qu’on veut nous c’est un vélo dont on soit fiers, un vélo sur lequel on puisse à la fois faire du sport et un geste pour la planète, un vélo qui montre l’exemple et qui donne envie aux gens de faire du triathlon de façon responsable, en préservant l’environnement et la planète. Parce que ce qu’on veut nous c’est une planète où tout le monde est en pleine forme et en pleine santé, une planète de triathlètes, de pentathlètes, d’heptathlètes, et même de décathlètes, sur laquelle les hommes et les femmes et les enfants et même les animaux font du sport et sont en pleine santé, en pleine forme, une planète où l’on n’a plus besoin de demander tout le temps à tout le monde à tout bout de champ si ça va parce que forcément ça va parce que quand la santé va tout va, une planète où tout le monde tous les soirs après sa journée de travail va à la piscine olympique en courant et revient chez lui sur son vélo mi-course électrique, épuisé mais heureux de se sentir en si grande forme et en si bonne santé, tellement heureux de pouvoir en jouir, en resplendir, la respirer.

Et nous aussi à la nuit tombée on s’endormira en pleine forme, nos muscles palpitants sous une peau raffermie, rêvant de médailles, de trophées, d’hymnes et de sacres, on s’endormira, l’esprit en paix, bercés par le profond et régulier battement d’un cœur en pleine santé, expulsant sans le moindre effort des jets de sang clair au travers d’artères, d’aortes, de veines fraiches comme au premier jour, irriguant des alvéoles pulmonaires teintées de rose, débarrassées de tout mucus, nourrissant d’un pur oxygène des viscères resplendissants, rebondis, moirés, tout occupés à produire sans répit, seconde après seconde, une vaillante armée d’anticorps luttant à chaque instant contre les assauts incessants de milliards de bactéries, de virus, de protozoaires, de champignons, de microbes, de bacilles, de moisissures, d’amibes, de parasites, de toxines, avec une détermination et une constance toute rassurantes.

Pierre-Antoine Brossaud est lauteur de LEncre et le Papier, in La Vie des Livres.

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