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Résolutions (11), par Pierre-Antoine Brossaud

Cette année, (on a quand même bien de temps en temps le droit d’être un peu égoïstes, on ne voit pas où est le mal à se faire du bien), on s’est dit qu’on allait prendre du temps pour soi.
On va se cocooner, se dorloter, se chouchouter, se bichonner. Ce qu’on va faire, c’est qu’on va fixer une bonne fois pour toutes un instant-détente, une pause-douceur dans nos emplois du temps surchargés, rien que pour nous. On peut tout à fait se dire qu’on va s’accorder, pourquoi pas le dimanche après-midi, (on a bien le droit nous aussi à notre petite pause-douceur, à notre instant-détente), une petite pause-douceur, un instant-détente pendant lesquels on pourra se ressourcer, se reconnecter avec nous-mêmes et notre bien-être. Des petits instants bien-être, câlins, détente, tout en douceur, tout en détente, très égoïstes, qui vont nous faire drôlement du bien à nous et qu’on va ritualiser, par exemple tous les dimanche après-midi, et qui seront rien qu’à nous.
On va commencer par se procurer une bouteille d’huile essentielle à la fleur d’ylang-ylang et des bougies parfumées thé vert mangue ananas et une fois qu’on aura établi une ambiance propice à la relaxation, à la décontraction, au lâcher-prise, à la détente, au délassement, au repos, au relâchement, une fois que notre huile essentielle et nos bougies parfumées auront commencé à envoyer des messages réconfortants, apaisants, rassérénants, au système limbique de nos cerveaux alors on pourra vraiment commencer à se faire plaisir, à se faire vraiment du bien, on pourra alors faire en sorte grâce à notre pause-douceur, notre instant bien-être et détente, de faire diminuer ces grosses boules qui sont là quelque part à l’intérieur de nous, défaire ces gros nœuds qui nous nouent et nous perturbent.
On va se masser. Parce que ça, c’est vraiment quelque chose qui nous fait du bien à nous, beaucoup de bien même, au point où à chaque fois qu’on se masse on se dit qu’on devrait le faire plus souvent.
On a trouvé d’ailleurs des choses très intéressantes sur internet pour nous aider à nous masser et on a décidé, (on peut bien s’accorder un petit plaisir de temps en temps, on ne voit pas où est le mal à se faire du bien), de s’acheter l’accessoire non seulement idéal à la relaxation, à la détente, au lâcher-prise, à la décontraction, mais aussi, et ça on ne le savait pas, l’outil incontournable pour stimuler la circulation sanguine, l’élimination des toxines et l’éveil psycho-corporel : un masseur de tête.
Parce que nos têtes à nous, elles sont au moins aussi sensibles que celles des chats ou des chiens, constituées qu’elles sont nos têtes à nous de milliers et de milliers de terminaisons nerveuses qui, pour peu qu’on les stimule en tous cas, secrètent une hormone de plaisir qui s’appelle l’endorphine. Il s’agit d’une drogue. En tout point semblable à la morphine. Qui est une drogue très dure. C’est pour cette raison qu’il faut être extrêmement vigilant en ce qui concerne l’utilisation d’un masseur de tête. Vigilant et responsable. Pour ne pas tomber dans la dépendance, dans ce qu’on appelle, à juste titre, l’enfer de la drogue.
Nous on en a vu des drogués à la télévision qui étaient tombés dans l’enfer de la drogue et ce qui est sûr c’est qu’on n’a pas envie de leur ressembler. On n’a pas du tout envie, non, qu’on nous retrouve recroquevillés, inconscients, complètement shootés sur le banc d’un jardin public ou sous une aubette de bus, les bras, les jambes décharnés, les yeux révulsés, les lèvres retroussées sur des gencives édentées et calcifiées, le masseur de tête, ses douze petites boules de cuivre au bout de leurs longues tiges d’acier, encore enserrées comme un garrot autour de nos crânes pelés, tout ça parce qu’on n’aura pas été capables d’utiliser notre masseur de tête avec modération, de façon responsable.
Nous ce qu’on aime de toutes façons, c’est se masser tout doucement. En prenant tout notre temps. De façon responsable. Parce que c’est dimanche après-midi et qu’il n’y a rien qui presse et qu’on n’a rien d’autre à faire.

On va s’allonger bien confortablement sur notre canapé, tamiser un peu les lumières, tirer les rideaux, allumer nos bougies parfumées thé vert mangue ananas, brancher le diffuseur d’huile essentielle ylang-ylang, se déshabiller et on va délicatement se saisir du manche de notre masseur de tête et commencer par faire coulisser les douze boules de cuivre de notre masseur de tête sur nos crânes, nos nuques et jusque sur nos occiputs. Tout de suite on sent que toutes nos terminaisons sont stimulées. Ça fait comme des petites vagues de plaisir dans le cou et au creux des reins, des petites décharges électriques qui courent sur notre échine et diffusent un voluptueux bien-être dans tous nos membres et nos extrémités. On accélère imperceptiblement le mouvement, le doux va-et-vient, et notre instant bien-être, notre instant câlin, notre pause-douceur, commence à devenir vraiment délicieux, et on se dit qu’on a bien fait d’acheter ce masseur de tête qui marche aussi très bien avec les genoux et c’est vraiment incroyable cette sensation, on ne pensait pas qu’il y avait autant de terminaisons nerveuses dans ce coin là, c’est vraiment incroyable cette sensation de toutes ces petites boules de cuivre qui s’enfoncent dans la chair des cuisses, le haut des cuisses, et nous on ne voit pas pourquoi on ne pourrait pas prendre tout notre temps, c’est dimanche après-midi, on ne voit pas pourquoi on n’inviterait pas notre collègue Violaine à venir partager ces instants bien-être, cette pause-douceur, il faudra qu’on l’invite Violaine, c’est surement le genre de filles à aimer ça, des moments bien-être, des pauses-détente, comme ceux-là, on aurait dû lui en toucher deux mots la dernière fois qu’on l’a croisée Violaine dans la salle des photocopieurs, elle était accroupie en train de ramasser une liasse de papiers tombés par terre et ça dépassait de son pantalon, sa petite culotte rose à Violaine qui dépassait, un tout petit triangle rose de tissu transparent bordé de dentelle noire qui débordait de son pantalon, peut-être qu’on aurait dû essayer d’y glisser un doigt dans sa culotte à Violaine au lieu de rester planté là comme un imbécile et puis on pourrait demander à Tiffany de passer à la maison aussi un dimanche après-midi, elle était assise juste en face de nous Tiffany vendredi midi au self de l’entreprise et on ne sait pas si elle commençait à avoir un peu chaud mais la fermeture à glissière de sa robe était baissée presque juste au milieu des seins et ça laissait passer des morceaux de son soutien-gorge en dentelle rouge et vert pomme et on aurait tout à fait pu y glisser la main et même les deux ou davantage et au lieu de ça on est resté là sans rien faire comme des pauvres imbéciles à manger nos radis, mais quand on va avoir terminé de se masser on va aller sur internet pour en commander deux autres des masseurs de tête comme ça elles auront chacune le leur et elles pourront s’allonger tête bêche sur notre canapé et se masser mutuellement, on n’avait pas pensé à ça mais elles ont sacrément de l’imagination Violaine et Tiffany, notre masseur de tête il peut aussi se transformer en petit martinet et si on en croit leurs gémissements elles ont l’air de bien aimer ça Violaine et Tiffany notre masseur de tête et on va lui retirer sa culotte rose à Violaine, elle attendait que ça qu’on lui retire sa culotte sinon elle la montrerait pas comme ça à tout le monde aussi souvent alors on va la lui remettre sa culotte à Violaine et on va encore la retirer mais cette fois ci tout doucement en prenant bien notre temps parce que c’est dimanche après-midi, et qu’on n’a que ça à faire que de lui retirer sa culotte et Tiffany elle, elle se débrouille très bien toute seule avec les douze petites boules d’acier au bout de leurs longues tiges de cuivre alors on va retourner Violaine de l’autre côté et on va faire glisser sa petite culotte rose bordée de dentelle noire, et de ce côté-là, c’est exactement comme on avait vu c’est juste un minuscule triangle de tissu rose transparent avec de la dentelle noire qui se termine par une ficelle et tout ça c’est très tendu mais on arrive quand même à enfiler le manche de notre masseur de tête par en dessous et elle Violaine ça la fait gémir de plus en plus fort et maintenant elle nous donne des ordres alors on va lui obéir et on va lui donner ce qu’elle demande pendant que Tiffany elle elle nous regarde comme si on était à la télé et voilà ça y est, c’était pas faute d’avoir été prévenu pourtant, on a secrété trop d’endorphine, il y a des hormones de plaisir partout maintenant et c’est surement pour ça qu’on nage en plein délire, qu’on raconte n’importe quoi, qu’on est même la proie d’hallucinations, mais heureusement ça s’est bien terminé et on est bien contents et soulagés d’avoir été vigilants et responsables et d’avoir su jouir en toute sérénité de notre petit instant bien-être, de notre petite pause-douceur qui est venu parachever en apothéose notre dimanche après-midi rien qu’à nous.

Pierre-Antoine Brossaud est lauteur de LEncre et le Papier, in La Vie des Livres.

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